PAR YARA BADER, JOURNALISTE, DIRECTRICE DU CENTRE SYRIEN POUR LES MÉDIAS ET LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, ÉPOUSE DE MAZEN DARWISH SON FONDATEUR. 10 MARS 2014 À 11:44
(Illustration Stefano Rossetto)
TRIBUNE
Une nouvelle audience doit se tenir aujourd’hui devant la cour antiterroriste de Damas dans le cadre du procès politique et truqué intenté à Mazen, arrêté en février 2012, et à quatre autres membres du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression.
Son nom est Mazen Darwish. Il a un peu moins de quarante ans. Le matin, il se levait le sourire aux lèvres. Il avait alors besoin de deux heures de calme, pendant lesquelles il buvait son café tout en contemplant le ciel. En silence, il récapitulait les différentes tâches qui l’attendaient dans la journée. Je pense qu’il réfléchissait aussi à ce qu’il allait me dire de ces tâches. Bien que je craignisse d’être forcée de révéler des choses qui pouvaient lui nuire si j’étais arrêtée, il y a longtemps que, sans même nous le dire, nous nous étions mis d’accord pour que je sache tout.
Le temps était nuageux et froid ce 16 février 2012. Ce matin-là, des agents des renseignements de l’armée de l’air ont mis à sac les locaux du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM). Ils ont arrêté Mazen et ceux qui travaillaient avec lui, en raison de leur militantisme pacifique et de leur travail de promotion et de défense des droits de l’homme en Syrie au sein du SCM.
Pendant neuf longs mois, Mazen a été privé de la contemplation du ciel, de son café matinal et de toutes les petites choses qui faisaient son quotidien. Seul le silence restait. Ce silence, caractéristique de l’abîme de la mort, est rompu toutefois par les cris insupportables des torturés, les prières chuchotées des prisonniers et les histoires sur leurs vies passées.
Mazen, dont la détermination est infaillible, a refusé de capituler face à la mort. Dans les geôles de Bachar où règne un silence assassin, il a aussi refusé de se laisser gagner par la cruauté de ses bourreaux, décidant d’apprendre à lire et à écrire à ses compagnons de misère.
Cela fait maintenant deux ans que le régime syrien retient Mazen prisonnier, empêchant que l’écho d’une voix pacifique ne parvienne aux oreilles du monde. Le régime préfère, en effet, user de la force pour faire taire le peuple.
Ces deux années ont été rythmées par une routine abominable et implacable, celle d’une vie de prisonnier. Mazen a tenté tant bien que mal de briser cette routine par des gestes simples : il a ainsi planté des lentilles et des pommes de terre dans une petite boîte de conserve vide et commencé un petit potager au cœur même du néant et du chaos qu’est la prison. En parallèle, pendant ces deux années, la Syrie a été plongée dans une anarchie sans nom, dans une catastrophe humanitaire inimaginable. Conséquences de la guerre civile qui ravage le pays. Pendant ces deux années, le gouvernement s’est acharné à conduire le pays vers sa propre destruction. Ce qui nous laisse incrédules sur ses annonces de réforme et de sortie de crise.
Une nouvelle audience doit se tenir aujourd’hui devant la cour antiterroriste de Damas dans le cadre du procès politique et truqué intenté à Mazen et à quatre autres membres du SCM, Hussein Gharir, Hani Zaitani, Mansour Al-Omari et Abdel Rahman Hamada, les deux premiers étant également détenus.
Mazen avait écrit en 2010 dans l’introduction d’un numéro du «Club des médias», le magazine du SCM : «Aucun groupe, aucun gouvernement, aucun régime ne peut monopoliser, ni dissimuler la vérité ou ne serait-ce qu’en effacer un pan. Même au temps des murs d’acier, des idéologies totalitaires et des sociétés fermées sur elles-mêmes. Il est vrai qu’il est possible de retarder la diffusion de l’information, réduire le nombre de personnes qui y ont accès. Mais il y a toujours au final, une fenêtre par laquelle la vérité réussit à se faufiler.»
En 2011, Mazen avait été arrêté à trois reprises suite à ses différentes interventions dans les médias. Cela faisait partie de la tentative du gouvernement syrien de dissimuler la vérité et empêcher la diffusion de l’information. Mais l’information a fini par se propager. Tout ce que nous avons connu par la suite, notamment le phénomène du «citoyen-journalisme», est une confirmation de ce qu’affirmait Mazen à l’époque.
Mazen Darwish n’a pas perdu la conviction exprimée il y a de cela dix ans à l’occasion de l’ouverture de l’organisation arabe pour la liberté de la presse. «Il n’y pas de prison assez grande pour contenir la parole libre» disait-il alors. Au contraire, celle-ci s’est renforcée.
Par Yara Bader, Journaliste, directrice du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, épouse de Mazen Darwish son fondateur.